Calendrier de l’avant 2025 (31/31)

Un article ou entretien par jour pendant le mois de décembre pour revenir avec nous sur l’année cinématographique 2024 !


L’absurdité pour interroger la création avec Clémence Coullon

Une plongée passionnante dans le processus créatif de la jeune metteuse en scène de Rue du Conservatoire de Valérie Donzelli

par Lilou Parente et Valentin Chalandon

Clémence Coullon dans Rue du conservatoire © Diaphana

Vous avez peut-être découvert Clémence Coullon cette année dans Rue du conservatoire de Valérie Donzelli, documentaire qui retraçait les coulisses des répétitions de sa première pièce Hamlet(te). Pour commencer l’année en beauté, elle nous parle de sa vision du théâtre, nous invite à découvrir son processus créatif et revient sur une année pleine de jeu, d’écriture et de cinéma …

Vous définiriez votre mise en scène comme du théâtre de l’absurde ?

Oui, aujourd’hui j’ai besoin de mettre ces termes-là car ils sont concrets. Quand tu montes des spectacles, il est important d’avoir un regard très précis sur ton geste de mise en scène. Ce dont je m’inspire le plus, c’est en effet le théâtre du burlesque et de l’absurde. J’aime énormément Chaplin, Tati, Ionesco : ces situations où le pathétique côtoie la drôlerie, où le burlesque permet des débordements des scènes comme des situations. Dans un monde frappé par des processus d’attaque aux sens – qu’il soit collectif ou intime – (je pense bien sûr au dérèglement climatique, à la violence politique et sociale que font peser les gouvernements sur les peuples, aux processus de fascisation galopant et, bien évidemment, au génocide perpétré à Gaza où des civiles meurent par centaines pour la première fois en live sur nos comptes Instagram) la quête du sens est une question centrale. C’est d’ailleurs ce qui me pousse à m’intéresser de plus en plus aux dynamiques sociales, aux effets de violence et aux langues qui les sous-tendent.

Le meilleur exemple de cette bifurcation est mon expérience avec Hamlet(te), variation autour la pièce éponyme de Shakespeare et dont Valérie Donzelli a suivi les répétitions pour son film Rue du conservatoire : Hamlet est la pièce la plus jouée au monde. Dans ma mise en scène, la pièce se jouait jusqu’au troisième acte, avant qu’Ophélie – ce personnage qui n’existe que parce qu’il est amoureux d’Hamlet et donc relativement à lui – le tue accidentellement. Le burlesque arrive à ce moment-là : le quatrième mur se fissure. Ophélie se rend compte qu’elle est dans un théâtre et que cela fait 400 ans qu’elle meurt noyée. Dans ma variation, c’est précisément ce qu’elle refuse. 

On voit donc Ophélie reprendre le rôle d’Hamlet pour finir la pièce. M’intéressait le fait d’interroger les mécanismes de croyance, ce qui fait que le public croit à ce qu’il voit sur scène. Et en fait, il commence à y croire quand l’actrice commence à y croire elle-même, c’est un peu la magie de l’illusion théâtrale. C’était aussi un moyen d’interroger le fait qu’en France rode encore le spectre des grands auteurs, de leur intouchabilité – quand bien même les variations autour d’Hamlet sont légions –, ou au contraire de la nécessité d’innover pour justifier le recours à un texte classique. Ces deux symptômes ne sont que le miroir de la même expression.

Étonnamment, quand j’ai regardé le film de Valérie Donzelli, Claire Lasne-Darcueil rapporte ces propos que je ne pourrais plus tenir aujourd’hui : alors qu’elle me demandait, si je percevais l’aspect critique et politique de ma proposition, j’avais répondu à l’époque que ce n’était pas politique. Aujourd’hui, je ne pourrai plus tenir un propos de cette teneur. L’absurde est politique, ce geste l’est tout autant. Et nous sommes tous embarqués, par nos gestes de mise en scène, dans des visions du monde, donc dans des formes de politicité, parfois émancipatrice, d’autre fois libérale voire réactionnaire.

Vous vous êtes rendu compte de la dimension politique de votre pièce et de l’impact qu’elle pouvait avoir pendant que vous la montiez ? 

Je crois même pas, j’étais dans une ignorance, je ne sais pas comment l’expliquer. J’avais peur du mot politique, je crois. Parce que je ne voulais pas déranger, déjà que je dérangeais par le fait de tuer Hamlet. Et c’est quand la première s’est faite que j’ai compris.

Tous ces dramaturges de l’absurde sont typiquement ceux qui ont un discours politique fort ? 

Oui complètement, mais j’avais cette appréhension de déclarer ma pièce politique alors que je cassais déjà les pieds en déconstruisant un monument. Et aujourd’hui je me dis non, il faut que ça bouge ! Et surtout : quoiqu’on fasse, on est embarqué. Tout est affaire de politique. Tout fait démonstration d’un monde social, d’un paysage de valeurs ou de vies refusées/possibles.

C’était difficile aussi, parce que c’était mon premier geste artistique, ma première mise en scène. Je sentais la nécessité de le faire, sans saisir le vrai sens de ce que je faisais. Je voyais exactement où j’allais, mais je ne pouvais pas mettre des termes. Je pense que plus tu prends des années, plus tu précises ton geste et tu sais ce que tu cherches. Et ma grande peur, c’était que quand j’allais comprendre, de ne plus pouvoir créer. C’est stupide, ça vient aussi de cette image de l’artiste maudit, inspiré par les Dieux, qui a besoin de ses problèmes et de la magie de l’art pour créer. Ça n’existe pas, il faut arrêter avec cette image qui pue le romantisme.

Cette question de comment se nommer, comment s’inscrire dans l’univers du théâtre est très intéressante. 

Le théâtre est un monde encore majoritairement bourgeois – comme tout le monde de la culture d’ailleurs –, donc il y a des privilèges et des inégalités systémiques, structurelles, encouragées par cette culture. Souvent, quand je prends la parole, je parle des privilèges que j’ai eu, et je me colle cette image-là, parce que j’ai eu une famille bourgeoise et que je suis beaucoup allée au théâtre et au cinéma étant jeune. Le théâtre reste aujourd’hui dans sa grande majorité une pratique qui sert de lubrifiant à l’idéologie néolibérale, tant dans ses modes de production que dans ses valeurs ou ses récits. Et c’est ce cadre-là, collectif, politique, systémique qui doit être transformé. Mais cela passe aussi par le fait que la plupart des personnes du monde de la culture s’identifient comme appartenant au monde bourgeois pour mieux ensuite en faire sécession. C’est pour ça que je ressens le besoin de nommer ça : la bourgeoisie, mon origine sociale – alors même qu’aujourd’hui je vis du RSA et que je suis dans une certaine précarité économique et financière. C’est un impensé et en tant que tel le formuler permet de commencer à lever le voile.

Cela rejoint aussi cette injonction, aujourd’hui, à nommer ce que les œuvres sont censées montrer, transmettre, notamment dans le cadre des commissions et des financements des projets artistiques. Certaines thématiques sont mises en avant, l’écologie, la visibilisation des minorités … Est-ce que le fait de les placarder et de les vendre comme tel ne fait pas perdre aux œuvres leur sincérité ?

Monter une pièce demande des investissements. Quand on monte des dossiers pour avoir de l’argent, c’est sûr que certains thèmes sont très valorisés, et l’écologie en fait partie. Cela tient aussi au fétichisme de la note d’intention et aux processus de production eux-mêmes, en amont de la création, qui ont inversé la logique de création en direction d’une thématisation. Mais en fait c’est absurde, parce que tu te dis : “Je vais faire une thématique écologique”, mais en même temps tu ramènes deux camions pour transporter le matériel, et les déplacements sont très énergivores. C’est très compliqué d’être réglo par rapport à des termes aussi grands que l’écologie au théâtre, surtout quand les institutions qui régulent les productions ne tiennent pas compte de l’éthique des processus et restent centrées sur les œuvres elles-mêmes. Nous sommes encore très loin de la transformation radicale que cela suppose et je me mets dans la boucle bien évidemment. Mais je crois qu’il est important que ces thématiques soient mises en avant. Parce que ce sont les thèmes qui touchent notre actualité de plein fouet. Mais qu’on ne saurait s’en tenir au thématique : l’enjeu est, là encore, structurel, systémique, et lié aux modes de production.

Hamlet(te) au Théâtre Gérard Philippe © TGP

Le cinéma est démocratique, personne ne se dit vraiment que ce n’est pas pour lui. La musique classique, en revanche, a perdu la force de sa dimension politique car plus personne n’y a vraiment accès, avec les bonnes clés de lecture. Comment se situe le théâtre sur ce sujet ?

Quand on met en scène pour le théâtre, on ne se dit pas du tout qu’il n’y a que la classe bourgeoise qui va venir nous voir. Dans les faits, c’est pourtant souvent la réalité, on fait du théâtre pour les théâtreux, surtout à Paris. C’est un peu différent quand on joue hors de l’île de France, dans des lycées, des salles des fêtes, des collèges. Mais le circuit culturel ne valorise pas du tout ces dimensions. Comment changer ça ? Comment faire venir les gens au théâtre alors que l’éducation à cet art est souvent ennuyante pour les jeunes ? Comment le rendre plus globalement partagé ? Ce sont de vraies questions.


Pour Hamlet(te), c’était génial car le bouche-à-oreille a très bien fonctionné, et a amené tout un tas de personnes différentes voir la pièce. Beaucoup de lycéen·nes sont venus d’un peu partout, et la première chose qu’iels m’ont dit, c’est qu’iels ne pensaient pas qu’on pouvait faire ça au théâtre, et que ça leur donnait envie de s’y mettre. Je pense que ça commence là : très jeune, pour changer le regard en leur montrant d’autres formes possibles. C’est génial aussi quand les classes nous appellent pour parler de théâtre. On s’interroge sur pourquoi ils s’ennuient, pourquoi ils ne comprennent pas, et ne sentent pas légitime d’y aller. En touchant à Hamlet(te), je voulais montrer la liberté que l’on prend et que les gens dans leurs vies ne prennent plus. Aujourd’hui, je pense essentiel de redonner vie à des révolutions qui ne soient pas qu’intérieures mais qui puissent aussi être d’une plus vaste portée collective.

Les gens autour de toi aussi te permettent de remettre en question ta vision du théâtre ? 

J’ai fait une très belle rencontre, parce que cette personne – Barbara Métais-Chastanier, avec qui je travaille aujourd’hui – avait une manière très différente d’envisager le théâtre. Elle est partie de Paris en rejetant ce culte de la réussite individuelle, qui existe aussi dans le cinéma avec les plus grands festivals, dans le théâtre où il s’agit de jouer dans les plus belles salles, les plus prestigieuses, et de souscrire à l’idéologie du développement. Elle m’a fait comprendre qu’on pouvait faire du théâtre autrement, et que j’étais moi-même nourrie par ces croyances autour de la réussite. Ça m’a aidé à regarder le paysage théâtral autrement. Et à penser différemment mon geste. Ce sont toujours les mêmes structures qui ont la mainmise sur le système théâtral, et ça ne fait bouger ni le théâtre ni le monde social.

Dans cette optique, quels sont les artistes contemporains qui t’inspirent, dont le travail résonne avec les questions auxquelles tu tentes de répondre ? 

J’aime beaucoup Phia Ménard, qui est metteuse en scène et comédienne, la compagnie Baro d’evel, qui interroge la question des corps à travers des clowns – ces deux collectifs artistiques et artistes viennent du monde du cirque et déploient des univers d’une singularité très poétique. 

Je pense aussi à Julie Deliquet, qui travaille beaucoup la question du social-historique. En tant que directrice du TGP, elle met aussi en jeu d’autres perspectives dans le paysage culturel, notamment en défendant des lignes féministes, décoloniales, critiques : elle a notamment permis à des jeunes metteureuses en scène d’avoir des lieux où jouer. La grosse question pour les jeunes artistes, c’est cet espace qui manque pour travailler. Elle fait confiance dans des personnes qui n’ont pas d’expérience, alors que normalement il faut de la bouteille pour avoir la chance de jouer dans de tels lieux, et elle m’a par exemple donné la plus grande salle pour représenter Hamlet(te) ! C’est dans sa politique, elle continue à se battre pour la jeunesse, qui a besoin d’être vu pour faire ce travail.

Comment est venue cette idée de film pour Rue du conservatoire ?

Je savais que j’allais monter Hamlet(te), et je suis très intéressée par les processus de création. Je me suis dit qu’il allait se passer des choses pendant ce mois de répétition, et que ça serait fou de filmer tout ça. Je ne connaissais personne, je n’avais pas d’argent, et je suis allée voir Valérie Donzelli, que je connaissais car elle était venue donner des cours au conservatoire et que je n’osais pas appeler depuis des mois. J’ai pris mon courage à deux mains, car j’avais adoré faire un court-métrage avec elle pendant cette semaine de cours et que j’ai une immense estime pour son travail d’artiste. Je lui envoie alors un message immensément long, pour lui parler de mon envie. On se voit pour boire un café, et elle me demande si j’ai besoin de conseils. Je lui explique alors mon idée, je lui parle des comédien·nes extraordinaires et de l’effervescence autour de la pièce tout en précisant bien qu’il n’y a ni scénario ni aucun financement. Et elle me dit “Okay, on y va, on le fait ce film”. 

Clémence Coullon et Valérie Donzelli dans Rue du conservatoire © Diaphana

Ce film c’est un peu une rencontre entre deux metteuse en scène, quelle est votre relation à toutes les deux sur le film ? 

Au moment où elle dit oui, je n’en crois pas mes yeux. Elle a tellement de choses, Valérie, et d’ailleurs elle a tout pris en charge avec Rectangle production. Quand on a parlé du film avec la productrice, je lui ai directement dit que c’était son film, donc je n’ai jamais vu le film avant la première, je ne savais même pas que je deviendrais le personnage principal.

La relation qu’on a eues toutes les deux, c’est une relation essentiellement épistolaire : on s’écrivait beaucoup, mais j’étais tellement occupée par la pièce que j’en oubliais la caméra. On n’avait pas le temps de se parler pendant les répétitions, en tout cas très peu, mais je savais qu’elle était là et sa présence faisait du bien au groupe.

Quand elle a terminé le film, je ne savais même pas qu’il allait sortir au cinéma, elle m’a demandé si je voulais le voir. Elle m’a laissé seule dans la salle, m’a dit que j’étais dans le film et que j’étais un peu… intense (rires).

Et cela vous a plus de le voir ? 

Alors ça m’a fait deux choses. Je ne savais pas que j’étais comme ça, ce n’était pas désagréable, mais j’ai compris ce que disaient les gens à mon propos donc c’était très drôle, l’écart que le film m’offrait sur moi-même. Et puis elle est partie avec rien, même la caméra elle ne l’a pas choisie, et ça m’a redonné espoir sur le fait qu’on peut créer avec rien. C’est une vraie ode à la création dans un contexte qui valorise tellement d’autres modes de production et des calendriers étirés comme des plans de financement quinquennaux !

C’est aussi un moyen de capturer un moment unique, d’avoir la mémoire d’un moment qu’on oublie peut-être quand on enchaîne avec d’autres projets ? 

Le théâtre, c’est un art de l’éphémère, et elle a mis de l’éternité dans un moment de notre vie où il y a eu un basculement. Pour moi, ce sont mes débuts en tant que metteuse en scène, et depuis je continue à l’être, c’est fou. Dans dix ans, je pourrai regarder ce film. On ne sait pas ce qui restera de ce moment, de nos amitiés, mais c’est la magie du cinéma de capturer ça et d’en laisser une trace.

Comment rebondir après avoir adapté Shakespeare ?

J’ai tout mis dedans. C’est d’ailleurs un peu le problème, parce que quand tu es dans une école, tu as le droit de te tromper. Dehors, c’est très différent, tu n’es plus à l’école, tu te risques.

2024 a été une année de dingue : j’ai monté deux pièces en même temps. En mai, la recréation d’Hamlet(te), et en juin, ma nouvelle pièce qui s’appelle Le Roi, la Reine et le Bouffon. Le matin, je montais ma nouvelle pièce et l’après-midi je courais au TGP pour Hamlet(te)

Le Roi, la Reine et le Bouffon aborde encore par l’absurde et le burlesque la question de l’enfermement, c’est une pièce que j’ai commencé pendant le confinement, et que j’ai continué à explorer ensuite. À travers ces trois personnages, je voulais travailler sur la dépression, cette grande maladie de notre siècle, mais en créant ces figures caricaturales pour pouvoir s’amuser et les interroger. La violence du pouvoir est aussi un mécanisme que j’explore pour faire l’anatomie de sa perpétuation. La pièce a reçu le prix du public au festival des jeunes mettereuses en scène 13, et sera jouée en janvier 2026.

Le Roi, la reine et le bouffon © Angèle Croissant

Et ce n’est pas trop difficile d’avoir autant de temps entre la création et le moment où la pièce est jouée ? 

En fait, en sortant de l’école je me suis rendue compte que l’administratif prend 80% du temps. J’ai cherché de l’argent les trois quarts de mon temps, et à ce moment-là, pour être financé, vient la définition des termes de la pièce. Aujourd’hui, dans ce monde de l’image, il faut que tout soit rapide, c’est pour ça qu’il faut être hyper structuré sur les idées, et sur les mots qui définissent notre travail.

Mes deux pièces vont se jouer 2026, parce que tout est booké d’ici là dans les lieux : au théâtre, les saisons et programmations 2025 sont déjà faites. Et il y a des stratégies, certains créneaux sont plus avantageux, pour se placer dans chaque saison. Ce genre de choses, on ne nous les apprend pas à l’école, je les ai apprises sur le terrain. 

En parlant de l’école, vous avez aussi été confrontée à l’aspect cinéma, quel est votre rapport au jeu du cinéma ?

C’était mon rêve le cinéma, le théâtre est ma vie bien sûr, mais j’ai passé plein de castings. Je fais 1m83, et à chaque fois que j’arrivais on me disait “ah, t’es grande”. C’est pour ça qu’avec Hamlet(te), je voulais bousculer les codes aussi : on en a marre de ça, de ces violences des stéréotypes et des distributions.

C’est beaucoup de travail pour rentrer un pied dans le cinéma : j’ai joué dans De son vivant (2020) d’Emmanuelle Bercot, j’ai fait En Thérapie saison 2, et j’ai beaucoup aimé ça. J’adore le travail du texte au cinéma, les tournages, mais aujourd’hui je crois que ce qui m’intéresse le plus, c’est la réalisation : c’est un langage tellement différent de la mise en scène mais qui s’en rapproche par beaucoup d’aspect. C’est cette tension qui m’attire aujourd’hui.

C’est très différent de mettre en scène pour le cinéma et le théâtre ?

J’ai l’impression que la question du regard est commune au théâtre et au cinéma : il faut penser et cadrer un geste qui va faire que le spectateur va regarder. Je crois qu’il y a une sensibilité importante entre les deux dans la question du zoom, sur quoi on zoome. 

Mais j’adore le cinéma : mon père était un fou furieux qui nous emmenait toujours au cinéma avec ma sœur. Je suis fan de Tarantino : je le mets toujours dans mes références artistiques pour mes dossiers. Il est trop fort, rythmiquement c’est parfait, il a plusieurs styles dans ses propres films, il jouit d’une liberté totale qu’il s’octroie. Inglorious Basterds, incroyable !

Quentin Tarantino sur le tournage d’Inglorious Basterds © Universal Pictures International France

Quels sont vos films de l’année 2024, si avez-vous eu le temps d’aller au cinéma ?

Dès que j’ai le temps j’y vais, deux fois par semaine, même si en ce moment c’est plus difficile. Cette année, j’ai beaucoup aimé Anora de Sean Baker, pour le burlesque, l’absurde de la situation qui dégénère. La photographie est dingue, et la complexité des personnages féminins m’a beaucoup plu. Et c’est un sujet qui n’est pas souvent traité comme ça, très original. Grosse claque aussi de La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer. Le travail du son est incroyable, et il est hyper important aussi dans le théâtre, c’est quelque chose qu’on oublie souvent. L’exemple parfait d’un sujet que tout le monde connait, mais traité d’une manière folle. Je crois que c’est ça que je cherche, pour faire bouger les consciences à partir de choses très connues, d’un socle commun de connaissance.

Comment travaillez-vous le son, justement ?

Je travaille avec des créateurs sonores, sur les sons de rythmes. Et aussi beaucoup de musique live, dès que je sais que je travaille avec des acteurs/actrices qui jouent d’un instrument, j’en mets partout.

Continuez-vous à jouer pour d’autres personnes ?

Oui, je continue à être comédienne, je vais prochainement jouer Juliette dans Roméo et Juliette en octobre 2025 dans la mise en scène de Guillaume Séverac-Schmitz. Il y a 5 ans, je n’aurais jamais imaginé avoir un tel rôle, notamment avec mon physique : on me donnait surtout des rôles de mères ou de reines.

C’est hyper important pour moi de jouer pour les autres, de travailler avec d’autres personnes pour ne pas que je reste cloitrée sur ma vision à moi. Sinon tu t’épuises alors que tu n’as que 20 ans. Et tu deviens bête.

Entretien réalisé le 21 décembre