Calendrier de l’avant 2025 (26/31)
Un article ou entretien par jour pendant le mois de décembre pour revenir avec nous sur l’année cinématographique 2024 !
Dans le casque de Marc-Olivier Brullé
Rencontre avec l’ingénieur du son de L’Histoire de Souleymane
par Lilou Parente et Valentin Chalandon

Marc-Olivier Brullé et Abou Sangaré sur le tournage de L’Histoire de Souleymane © Marc-Oliver Brullé
Marc-Olivier Brullé est ingénieur du son et monteur son. Cette année, il a travaillé sur l’incroyable film de Boris Lojkine, L’Histoire de Souleymane, et il nous livre son expérience de ce tournage pas comme les autres, ainsi que sa vision du métier et son année 2024.
En quoi consiste concrètement votre métier ?
La mission principale de l’ingénieur du son de tournage est d’assurer la prise de son de la captation visuelle, ce qu’on appelle le « son direct”. Celui-ci est principalement constitué de dialogues puisque c’est ce qui compose la majeure partie du langage cinématographique sonore au moment du tournage. En fiction, on va souvent être une équipe de deux personnes : un perchman et un ingénieur du son. Le perchman est chargé du placement très précis d’un micro tenu au bout d’une perche, il va déplacer celui-ci pour que ce micro soit toujours idéalement placé au-dessus des comédiens qui parlent, tout ça sans faire d’ombres ni rentrer dans le cadre. Ce micro perché constitue souvent l‘élément de base d’une prise de son, il est relié à l’enregistreur de l’ingénieur du son et son niveau est modulé par ce dernier. L’ingénieur du son utilise également des “micros cravate à émission HF”, plus communément appelés “micros HF”, ils sont miniatures, cachés sur les comédiens sans fil et reliés à des émetteur eux-même cachés dans les costumes. Les récepteurs sont également branchés sur l’enregistreur et cela permet donc de recevoir ces micros “sans fil”. L’ingénieur du son assure le son d’une image et le timbre des voix en mixant ces différents micros en direct. Il est également chargé de récolter des “ambiances” qui correspondent aux sons des lieux où l’on tourne, et des “sons seuls”: sons ponctuels d’actions ou d’accessoires sonores spécifiques utilisés dans une scène par les personnages entre autres. C’est actuellement un métier très technique, pas forcément celui où il y a le plus de créativité dans la chaîne de fabrication sonore d’un film (contrairement au montage son). Mais une fois qu’on arrive à s’extraire de cette technique, il y a bien sûr une relation artistique avec la mise en scène et les comédiens; de par notre écoute nous avons un recul sur le jeu et sa justesse, que j’affectionne beaucoup.
C’est la maîtrise technique de vos outils qui vous permet de prendre place dans le créatif ?
Je pense que la plupart des “ingés son” essaient d’abord, comme des artisans, de maîtriser leurs outils pour que leur utilisation devienne un geste naturel, fluide. Et c’est effectivement cela qui permet de libérer de l’espace de pensée pour se concentrer sur d’autres choses. Mais il y a une sorte d’augmentation des outils et des potentiels qui fait qu’on peut aussi rapidement se faire accaparer par la technique.
Mais cette évolution technique ne permet-elle pas également plus de possibilités et donc plus de liberté ?
Si tout à fait, mais ce qui est paradoxal, c’est que les outils évoluent en même temps que les contraintes qui leurs sont liées. Pour vous donner un exemple, il y a quarante ans, il n’y avait quasiment pas de micros HF… Leur apparition a renouvelé la prise de son car cela a permis d’enregistrer des dialogues qui auraient été in-enregistrables auparavant (par exemple sur des plans très larges où on n’entendrait rien avec le micro perché seul). Mais, à l’époque, on écrivait le son et on découpait une scène en fonction de ce qu’on voulait entendre ou non, alors qu’à l’heure actuelle, on part souvent du principe qu’on peut et doit tout enregistrer : tout ce qui sort de la bouche des comédiens quelle que soit la valeur du cadre du plan. Parfois, ces micros peuvent être compliqués à gérer, notamment à cause de perturbations que d’autres réseaux sans fil (téléphoniques entre autres) peuvent créer, et on peut rapidement y perdre beaucoup d’énergie alors même qu’on aurait pu penser l’écriture du son autrement. Je suis très admiratif de la manière dont les gens travaillaient avant, avec beaucoup moins de moyen, même si c’était une autre réflexion et d’autres attentes qu’actuellement.
Sur le travail hors dialogue, vous êtes également à l’origine de la création de sons ou c’est essentiellement de la captation ?
Ça dépend. D’abord, il faut rappeler que le temps consacré au travail du son a tendance à être de plus en plus réduit sur les tournages. Pour enregistrer des ambiances – le son d’un lieu -, on enregistre généralement trois minutes et cela prend cinq à dix minutes à mettre en place, mais rien que pour ça il faut réfléchir en avance pour trouver le moment opportun pour demander à toute l’équipe de s’arrêter et de se taire. Avant, c’était ancré, on le faisait systématiquement après quasiment chaque scène, alors que maintenant on a tendance à le faire en dehors des heures de travail, aux pauses repas par exemple. Or ceci n’est pas de la création de son mais simplement de la captation… Créer des sons demande en général encore plus de temps, donc c’est assez rare que l’on puisse s’y consacrer durant un tournage, mais il arrive parfois qu’on prenne ce temps pour des besoins spécifiques. Sur L’Histoire de Souleymane on a par exemple cherché à créer le maximum de matière sonore pour le vélo endommagé, une fois qu’il est accidenté. Mais en général, la création de sons se fait à l’étape de la post-production, lors du montage son et de l’enregistrement des bruitages. Le montage son est créatif par essence, car associer plusieurs sons en crée forcément un nouveau.

Tournage des Survivants de Guillaume Renusson (2021) © Marc-Olivier Brullé
Et vous ne participez pas à cette deuxième partie du travail sonore ?
Traditionnellement, l’ingénieur du son travaille sur le tournage tandis que le monteur son travaille une fois le tournage et le montage terminés.
C’est particulier dans mon cas car j’ai deux emplois : celui d’ingénieur du son et de monteur son. C’est quelque chose qui se fait de plus en plus et c’est très intéressant parce que les deux sont très liés, les combiner apporte du recul à plein de niveaux, même si quelqu’un faisant la même chose toute sa vie sera sûrement plus performant. C’est au montage son qu’il y a le plus d’innovation, notamment dans les outils de restauration sonore – et cela date même d’avant l’arrivée de l’IA -, c’est donc vraiment précieux d’avoir conscience de ce qu’on va pouvoir faire à posteriori du son qu’on enregistre à un instant T.
Ce n’est pas systématique mais sur L’Histoire de Souleymane, j’étais aussi au montage son. On était trois et je m’occupais plus spécifiquement du montage du son direct (celui dont j’avais assuré la prise de son sur le tournage), de son nettoyage, de la recherche de doubles de répliques/dialogues plus intéressants sur d’autres prises que celles qui étaient montées à l’image, de l’assemblage de plusieurs d’entre elles, et parfois aussi du réenregistrement de post-synchronisations (doublage par le comédien lui-même) lorsque l’on n’était pas satisfaits du son direct pour des raisons techniques ou artistiques. Le montage du son direct est très lié au jeu également, dans la continuité du travail du tournage.
Quelle place la prise de son a-t-elle prise dans L’Histoire de Souleymane et, par conséquent, quelle place avez-vous prise dans le créatif ?
Je dirais la place qu’on m’a donnée (rires). Je travaille avec Boris (Lojkine, le réalisateur) depuis son premier film de fiction (Hope, 2014), et Souleymane est donc le troisième long-métrage qu’on fait ensemble, on a créé une vraie relation, une vraie collaboration depuis tout ce temps. Dès le début, il a émis la volonté de ne pas utiliser de musique extradiégétique dans ce film mais de jouer avec ce qu’on a appelé “la partition sonore de la ville”, autrement dit les sons réels qui la composent, et de les utiliser comme on utilise de la musique. Cela nous donnait donc beaucoup de responsabilités et ouvrait un grand champ des possibles.
Au départ, il souhaitait que l’équipe ne soit composée que de deux techniciens : un ingénieur du son et un chef-opérateur à l’image, pour être très mobiles et pouvoir s’adapter le plus facilement au réel. Nous en avons beaucoup discuté et avons même tourné deux journées d’essais dans cette configuration ; grâce à ça, nous en sommes arrivés à la conclusion que cela figerait le film dans une esthétique très documentaire avec toutes les limites que cela comportait par rapport aux désirs esthétiques qu’il avait émis. C’était encore plus vrai pour le son que pour l’image je crois, car l’environnement urbain et son chaos sonore rendaient l’enregistrement des dialogues extrêmement compliqué. Nous sommes finalement partis avec deux personnes au son (un perchman et moi-même), et deux à l’image (une assistante caméra et le chef op). De notre côté, cela nous a permis de pousser très loin les enregistrements en direct ou en multiphonie (c’est à dire les prises de son à plusieurs micros, comme la stéréophonie le 5.1 par exemple) en direct, qui ont grandement contribué à restituer l’ampleur et l’authenticité du son de la ville sans passer par de la recréation en montage son.
Mon perchman assurait la prise de son monophonique des dialogues tandis que j’assurais en même temps l’enregistrement polyphonique de la ville de manière quasi systématique.. Cela se fait très rarement car ça implique notamment d’être toujours dans le même axe que la caméra, ce qu’on appelle “au plan” pour que le son soit exploitable. Ça a une implication éminemment physique.
Souvent, mon perchman tenait donc sa perche pour les dialogues et j’en tenais une deuxième avec une bonnette tripiste (contenant trois micros – comme il y a trois enceintes derrière un écran de cinéma) au bout, et pour les situations où c’était impossible, nous avions fabriqué un casque avec trois micros cravates fixés dessus, comme ceux qu’on utilise pour les comédiens.
Une autre spécificité était la place très importante que le vélo prend dans le film (certains vont même jusqu’à dire qu’il est presque un personnage) : on a dû réfléchir à comment l’enregistrer quelles que soient les conditions.
Pour cela, on l’a démonté tant que possible et on a caché un micro cravate à l’avant au niveau du guidon et un autre à l’arrière, au niveau du dérailleur. Tous les deux étaient reliés à des émetteurs HF (sans fil) eux-mêmes cachés dans le sac de livraison sur le porte-bagage. Nous suivions nous-même ce vélo depuis d’autres vélos techniques (un à l’image et un au son) et cela nous permettait d’enregistrer le vélo et le comédien (lui-même équipé de micros) à distance. Cela a représenté un défi technique, surtout dans une ville comme Paris où les fréquences sont saturées d’informations, d’émetteurs et relais de télécommunication, mais on s’en est très bien sortis.
Une troisième spécificité est qu’on a équipé le comédien principal dans son bonnet avec un micro HF, cela se fait parfois pour certaines scènes dans des films qui le permettent et l’exigent, mais c’est toujours plus une exception qu’une constante. Dès que j’ai lu le scénario et qu’on a commencé à en parler avec Boris, je lui ai dit qu’il fallait qu’on travaille sur les costumes au maximum pour optimiser l’utilisation des micros HF, car c’était un projet où percher serait très compliqué, de par la non maîtrise de la lumière (et des ombres), mais aussi et surtout au chaos sonore dans lequel on allait tourner.

Le vélo de prise de son pour L’Histoire de Souleymane (2016) © Marc-Olivier Brullé
Le travail de réflexion s’est donc fait en amont du tournage, presque à l’écriture ?
Cela fait des années que Boris travaillait sur le scénario. Le fait que le film se passe en hiver et nous permette de tirer profit des vêtements de saison pour la prise de son est un peu un concours de circonstances. Par contre ce qui a été réfléchi et ajusté ensemble est le choix de ces costumes et des décors, le fait d’utiliser des bonnets et des écharpes le plus judicieusement possible, le fait de tourner dans tels lieux et pas dans d’autres.
Dans certaines séquences, comme celle du tête à tête dialogué dans une rame de RER entre Barry et Souleymane, on n’aurait jamais pu préserver le son direct sans ces ajustements. Avec un micro perché, même très proche et parfaitement placé au-dessus de ceux-ci, on entendait plus le bruit du transport que ce que se disaient les personnages. Jusqu’à ce qu’on tourne, je pensais qu’il y avait peu de chance que la scène ne finisse pas par être post synchronisée (doublée) mais finalement, grâce à ces bonnets et les HFs cachés dedans, on a réussi à sauver le son de cette scène et par la même le jeu des comédiens, leur énergie, leur émotion, car finalement c’est tout l’enjeu de notre métier.
Le travail de réflexion avec Boris repose donc plus sur des adaptations au scénario et aux volontés de mise en scène que sur des réécritures. En tout cas, sur les deux mois que dure la préparation d’un tournage, tous les corps de métiers avancent en même temps, et sur ce film il y avait une vraie volonté de chaque collaborateur de dialoguer au maximum. On savait ce que les autres faisaient et cela permettait tout simplement de réfléchir ensemble.
Ce dialogue était-il rendu possible par la taille réduite de l’équipe ?
Cela peut aussi être fait sur de plus gros films mais il faut que les gens soient disposés à travailler communément et surtout que cela soit initié par le ou la cinéaste. Sur L’Histoire de Souleymane c’était particulièrement simple, il y avait une bonne synergie car on était peu et que le réalisateur avait choisi avec beaucoup de soin son équipe.
Comment s’organise votre travail sur une année et, en particulier, comment votre année 2024 s’est-elle déroulée ?
Je ne suis pas représentatif de ce qui se fait en général parce que j’ai deux métiers qui offrent des rythmes de vie très différents. Un tournage, c’est presque une micro-société à l’échelle de quelques semaines – deux mois en général -, on rencontre beaucoup de gens avec lesquels on vit, on mange, on travaille à des rythmes très variés, parfois de jour, parfois de nuit… A l’inverse, le métier de monteur son est beaucoup plus cadré : on travaille dans un studio, chaque jour au même endroit (souvent en région parisienne même si heureusement cela bouge de plus), selon des horaires plutôt fixes et en relation avec seulement deux ou trois personnes dont le ou la cinéaste.
Donc, dans mon cas, pratiquer ces deux métiers permet une forme d’équilibre à l’échelle d’une année.
À partir de février-mars, tous les films qui essaient de tenter Cannes (et c’est la majorité de la production en France) arrivent en fin de montage et début de montage son, c’est à ce moment que sont envoyées des copies de travail au festival dans l’espoir d’être sélectionné. Cette période concentre donc beaucoup de travail de montage son jusqu’en mai.
Ensuite, notamment en été, j’essaie de me concentrer sur des choses plus personnelles avant de reprendre les tournages en automne. Cela laisse du temps libre, c’est un choix que je me permets, car cela m’intéresse de me nourrir d’autres choses que de ma pratique professionnelle, de prendre du recul, de garder l’envie.
Cette année était particulière parce qu’il y a eu le tournage de L’Histoire de Souleymane d’octobre à décembre puis j’ai fait le montage du son direct sur Les Barbares (2024) de Julie Delpy pendant un mois avant de travailler sur la reprise du montage son de L’Histoire de Souleymane en mars et ce jusque mai environ. J’ai ensuite effectué ma pause estivale avant de reprendre en septembre la préparation du dernier film d’Hubert Charuel, le réalisateur de Petit Paysan (2017), dont je viens de terminer le tournage.
Il m’arrive aussi de travailler sur des projets plus courts et ponctuels, sur du court métrage par exemple, mais aussi en long-métrage documentaire car ce sont souvent des sessions moins longues et beaucoup plus nombreuses qu’en fiction.. J’ai notamment travaillé avec Guillermo Quintero, un cinéaste franco-colombien, avec qui il nous est arrivé de faire quatre sessions de tournage deux à trois semaines étalées sur quatre ans pour un seul long métrage. Ce ne sont donc pas du tout les mêmes temporalités.
C’est agréable d’avoir des sessions plus courtes, cela arrive aussi parfois en fiction mais c’est beaucoup plus rare. Sur Bruno Reidal(ndlr. Vincent Le Port, 2021), nous avons tourné cinq semaines en été et deux semaines en hiver pour des raisons de scénario. C’était très agréable à vrai dire. Au bout de cinq semaines de tournage, il faut avoir du souffle pour ne pas commencer à être fatigué, à tomber dans des automatismes, et garder l’envie.

Sur le tournage de Not K.O. de Xavier Sirven (2016) © Marc-Olivier Brullé
Une sortie de 2024 vous a-t-elle particulièrement marqué ?
Je ne vais pas souvent au cinéma car j’habite dans un endroit où c’est un peu compliqué, mais je regarde quand même environ un long-métrage par semaine. Le film de Jonathan Glazer, La Zone d’intérêt, m’a beaucoup marqué et pas seulement pour le travail fait sur le son. Proposer une vision aussi radicale et singulière sur un sujet déjà beaucoup traité au cinéma, c’est très fort !
Comment en êtes-vous venu à faire ce métier ?
Je n’ai aucun rapport avec le cinéma et la musique de par ma famille. Depuis mon adolescence, je suis passionné par la musique mais je me suis rapidement rendu compte que cela serait difficile d’en faire ma profession et je me suis tourné vers l’audiovisuel pour tenter d’y travailler en tant que technicien. J’ai fait un BTS audiovisuel et, grâce à un enseignant qui nous donnait des cours d’analyse filmique, je me suis tourné vers le cinéma. Il m’a poussé à tenter la Fémis où je suis entré en son et je me suis rendu compte que cela me convenait parfaitement pour la dimension collective de la fabrication. J’ai eu la chance d’être dans une promotion avec une grande diversité d’origines, en termes de cursus, de provenance géographique ou culturelle, et au sein de laquelle j’ai pu créer de nombreuses relations d’amitié. J’ai été amené à travailler avec des étudiants dès la sortie de l’école ; trouver des compagnons de travail est l’une des forces de cette formation. D’un point de vue personnel, le seul inconvénient serait que j’ai un peu sauté l’ “étape perchman ». Dans une carrière en vue de devenir ingénieur du son, on commence souvent par être perchman, métier qui convoque une vraie technique, très spécifique…
À l’école, j’aimais déjà beaucoup le travail d’ingénieur son et de monteur son, on a donc continué à m’appeler pour ça en sortant de celle-ci.Mon premier long-métrage s’est paradoxalement fait avec quelqu’un que je ne connaissais absolument pas et qui n’avait pas fait d’études de cinéma: Boris Lojkine, le réalisateur de L’Histoire de Souleymane.
C’était sur Hope (2014), un film qui parlait déjà de la question migratoire et racontait l’histoire d’un jeune Camerounais et d’une Nigériane qui tentent de rejoindre l’Europe. Boris avait fait peu de fiction et m’a proposé de faire la prise de son puis le montage son, cela m’a beaucoup plu de suivre le projet sur le long terme, et m’a conforté dans l’envie de continuer les deux métiers en parallèle, et ne pas forcément n’en choisir qu’un seul.

Avec Boris Lojkine sur le tournage de L’Histoire de Souleymane © Marc-Olivier Brullé
Quelle est l’implication des cinéastes dans le montage son, qui semble plus difficile à appréhender sans connaissances techniques que le montage image ?
Les cinéastes ont souvent très envie de s’y intéresser, épaulés par le technicien qui est aussi là pour rendre des idées abstraites plus concrètes. Mais parler de son n’est pas forcément aisé, surtout lorsque l’on ne connaît pas bien son interlocuteur car chacun a son propre vocabulaire.
Le monteur son doit d’abord essayer de comprendre au maximum ce qu’imagine le metteur en scène et ce qui se cache derrière le vocabulaire qu’il emploie. Cela passe parfois par la parole mais aussi et surtout par écouter des sons et échanger suite à ces écoutes pour pouvoir cerner les intentions et les repréciser jusqu’à bien se comprendre.
A partir de là, les méthodes varient, certains réalisateurs apprécient être en permanence en studio pendant la fabrication, d’autres de manière beaucoup plus ponctuelle, en se donnant des rendez-vous pour écouter et visionner ensemble le travail, dé-briefer et modifier ensemble ou laisser le monteur son ajuster jusqu’à une prochaine écoute. Cela dépend vraiment des films, des habitudes, des personnalités, il n’y a pas de règles.
Ce que je trouve personnellement le plus compliqué en montage son, c’est la prise de recul, ou comment créer des versions pendant plusieurs semaines tout en gardant la fraîcheur pour pouvoir dire que la nouvelle est mieux que la précédente. Il y a une recherche, des propositions, des directions qu’on prend puis sur lesquelles on revient – un peu comme au montage image même si on a une base un peu plus figée qui est justement l’image. Souvent c’est grâce aux écoutes ponctuelles et au recul du réalisateur que l’on arrive à garder le cap.
Et pour cette raison je préfère travailler de manière ponctuelle, ça me permet aussi d’avoir des moments de solitude afin de créer des choses selon les demandes du ou de la cinéaste, d’avancer plus librement. Dans le même temps, cela garantit aussi au metteur en scène d’arriver plus frais lors d’une écoute, et de préserver son recul.
L’exception confirmant la règle, parfois, avec quelques metteurs en scène, j’apprécie qu’ils soient tout le temps là et que l’on crée ensemble.
Il faut aussi rappeler que jusqu’au début des années 90, le fait d’avoir spécifiquement un monteur son était assez rare, et cette spécialisation est fortement liée à la complexification des outils et au numérique qui ouvrent plein de possibilités. Je pense que, pour être un bon monteur image, il faut aussi mettre les mains dans le son. Le monteur de L’Histoire de Souleymane, Xavier Sirven, qui est un ami de la Fémis avec qui j’ai beaucoup travaillé, construit vraiment quelque chose à partir du son et c’est extrêmement précieux pour le film et pour nous qui récupérons le travail ensuite.
Il y a-t-il un ingénieur son ou monteur son qui vous a particulièrement inspiré ?
Je pense que les carrières et la renommée dans ces métiers sont très liées aux filmographies et aux rencontres humaines. Une personne qui m’a beaucoup inspiré est Jean-Pierre Duret, un grand ingénieur du son français qui a travaillé sur énormément de films (pour Pialat, les Dardenne, Bonello, les Straub pour ne citer qu’eux) et que j’ai eu la chance d’avoir comme tuteur de mémoire à la Fémis. J’ai pu passer beaucoup de temps avec lui et il m’a notamment inspiré sur sa conception du travail.
Un mot pour la fin ?
Je pense que ce qui fait qu’un film comme L’Histoire de Souleymane est aussi réussi, techniquement et artistiquement, c’est vraiment la dimension collective du travail. Quand tout le monde va dans le même sens, on peut faire des choses magnifiques.
Entretien réalisé le 24 décembre
