Calendrier de l’avant 2025 (9/31)
Un article ou entretien par jour pendant le mois de décembre pour revenir avec nous sur l’année cinématographique 2024 !
Panorama du cinéma jeune public avec Alan Chikhe
Une année de programmation et de médiation dans les coulisses du Méliès
par Lilou Parente et Valentin Chalandon

Alan Chikhe (en ours) pendant la Nuit Halloween au Méliès à Montreuil © Alan Chikhe
Alan Chikhe est programmateur et médiateur jeune public au cinéma Le Méliès de Montreuil. Il revient avec nous sur son année, en abordant les dessous de son métier, sa manière de travailler, l’importance de l’éducation aux images et la politique culturelle en France.
Pouvez-vous nous présenter le programme jeune public que vous avez créé pour cette année ?
Notre programme se divise en fait en trois programmes trimestriels, pour coller à l’année scolaire. Notre fil rouge thématique de l’année est la comédie musicale et, pour ce deuxième trimestre, je voulais une programmation centrée autour des chats, en lien avec l’actualité et tous les films de chats qui sont sortis récemment.
Il y a deux façons de faire un programme jeune public, on le construit soit de manière thématique, soit en se nourrissant des films d’actualité. Au Méliès, on les construit plutôt selon l’actualité. Après, en ce qui concerne la sélection, ce sont des cases à cocher, en variant des styles et des genres différents, les pays d’origine des films malgré une centralité des films Européens, Américains et japonais. C’est aussi important pour nous de proposer des films en prise de vue réelle : on dit souvent que l’animation est aussi pour les adultes, il faut aussi démocratiser l’idée que la prise de vue réelle est aussi pour les enfants.
Je pense aussi qu’il faut se permettre de proposer des films ambitieux pour le jeune public, j’avais par exemple inclus The First Slam Dunk (2022, Takehiko Inoue) dans la programmation l’année dernière. J’aime faire un pas de côté, ne pas avoir un programme trop lisse ou attendu. Comme la formule est toujours la même d’une année à l’autre, c’est comme ajouter son ingrédient secret dans les pâtes.
Ce programme est destiné aux scolaires, mais en dehors des dispositifs d’éducation à l’image mis en place par le CNC comme “École et cinéma”. Ce sont donc des sorties scolaires à l’initiative des enseignants ?
Oui c’est ça. On propose un programme de séances présentées pour celles et ceux qui souhaitent amener leurs classes au cinéma. Depuis la mise en place du pass Culture collectif en 2021, le nombre de séances scolaires à la carte – des séances hors dispositif et hors programmation “maison” – a beaucoup augmenté. Les établissements disposent d’un crédit attribué en fonction de leurs effectifs, à hauteur de 20 à 30 euros par élève en fonction des niveaux. C’est une incitation pour les profs à créer des séances culturelles sur leur propre initiative, et ça fonctionne bien au Méliès. C’est souvent une manière de faire plaisir à la classe, les enseignants font des programmes qu’ils concoctent eux-même, dont certains peuvent être pour les élèves, comme par exemple des thématiques autour de la dystopie où les élèves sont allés voir Matrix (1999, Wachowski).
Le seul problème, c’est qu’il n’a pas été pensé pour financer l’existant, mais plutôt pour permettre aux artistes intervenants d’aller dans les écoles (atelier réalisation, théâtre, arts plastiques), ces pratiques étant réservées aux parcours spécifiques type cham chad, option ciné, etc. Dans la réalité, nous constatons qu’ils servent à soutenir les dispositifs scolaires déjà en place. C’est un peu de l’argent bonus qui tombe pour les établissements. Certains établissements utilisent le budget du pass Culture pour financer les dispositifs scolaires (“Ma Classe au cinéma”), et réallouent le budget initialement prévu à d’autres postes de dépense (entretien, matériel …). Si le pass Culture venait à être supprimé, les séances scolaires, et dispositifs d’éducation aux images seront probablement remis en cause.
Et sur la consommation individuelle du pass Culture, vous avez remarqué des changements sur la fréquentation du cinéma ?
Il est évident que le pass Culture individuel a aussi eu un impact sur les pratiques des jeunes. On voit des buzz inattendus sur des films comme Le Consentement (2023, Vanessa Filho) ou Moi, Capitaine (2023, Matteo Garrone) dont les places sont en partie prise avec le pass Culture, et c’est quelque chose que l’on ne pouvait pas prévoir. Ce sont de belles surprises, quand on sait que la majorité des réservations se font sur des films attendus : animés japonais, gros blockbusters (Avatar 2), films d’animation de Disney ou film Marvel.
De toute manière, cela facilite beaucoup la venue des jeunes au cinéma, parce que la gratuité annule la part de risque dans les choix. Ils se dirigent plus vers des films qui ne leur plairaient pas au premier abord. Le drame, c’est de tuer la curiosité des jeunes, et c’est aussi pour ça qu’on essaye d’avoir une programmation hétéroclite.

Programmation scolaire du deuxième trimestre 2024-2025 du Méliès © Cinéma Le Méliès Montreuil
C’est pour encourager cette curiosité que l’accompagnement des séances est primordial ?
Oui ! Au Méliès, on présente toujours nos séances, c’est très important pour nous. Ce qui compte, c’est de s’adapter au public pour rendre les films accessibles. Pour les plus petits par exemple, c’est inutile d’essayer de leur parler du film, on travaille plutôt sur le sensoriel.
La population de Montreuil est très diverse, et dans une même séance, les disparités culturelles et sociales sont grandes. Certains jeunes sont baignés dans un milieu où l’art est de commun accès, et sont capables de faire des débuts d’analyse quand d’autres voient des films muets pour la première fois. Notre politique est de tout faire pour que les films soient accessibles pour tout le monde c’est pourquoi nous présentons toutes les séances scolaires.
Vous êtes également en charge des dispositifs scolaires institutionnels ?
Oui, je fais aussi tous les dispositifs scolaires au Méliès, de la maternelle – appelée Ma première séance en Seine Saint Denis, département qui fut un des premiers à créer un dispositif scolaire à destination des élèves de maternelle et qui est désormais source d’inspiration pour d’autres territoires – à “Lycéens et apprentis au cinéma”. Ces dispositifs sont les piliers de l’éducation artistique et culturelle, ils sont extrêmement précieux. Ils sont issus d’un partenariat entre le ministère de l’Éducation nationale et de la Culture, appliqués par le CNC et les exploitants. Les enseignants sont formés à l’accompagnement de classes autour d’une sélection de films. Ils viennent au Méliès sur plusieurs jours pour voir les films et apprendre à en parler grâce à des intervenants spécialistes du cinéma. L’enjeu est de pallier l’absence générale de formation à l’éducation aux images car ça ne fait pas partie du parcours scolaire classique.
Pour “Collège au cinéma” l’année dernière, on a commencé le cycle par Nosferatu (1922) de Murnau. Imaginez une classe de petits 6e devant ce film. On aurait jamais pu le faire si on avait pas pu former les enseignants, qui y sont allés “en mode soldats” malgré la difficulté.
Pour vous donner une anecdote amusante, un jour, il y a eu un problème dans la salle et une classe a vu le film entier sans le son. Cela a dû être une expérience folle, mais les élèves ont trouvé ça normal. J’ai recroisé l’enseignante quelques semaines plus tard, elle m’a dit qu’elle ne s’attendait pas à ce que le film n’ait aucun accompagnement sonore, mais elle n’a rien dit pendant la séance… Cela montre bien le désarmement de certains enseignants face à l’objet cinématographique.
Ce sont des dispositifs qui fonctionnent bien ?
Dans l’application, cela fonctionne très bien ici parce que nous avons les moyens de proposer un accompagnement de qualité. Mais, en réalité, ce sont des dispositifs qui dépendent principalement de l’Éducation nationale. Et quand on constate sa déchéance, avec une nouvelle réforme par gouvernement, l’impact sur les dispositifs n’est jamais positif : les profs sont baladés, et il faut sans cesse se réadapter, surtout ces dernières années avec le passage aux spécialités pour le bac ou plus récemment les groupes de niveau.
Le plus gros problème réside dans la manière dont les enseignants sont considérés. On a l’impression que tout est malléable sauf le salaire des enseignants. Le revaloriser est une solution qu’on n’a jamais essayée, elle marcherait peut-être, qui sait ?
Récemment, la formation des enseignants pour les dispositifs d’éducation aux images est passée hors temps scolaire, ce qui signifie qu’ils doivent se former en dehors des heures de cours, contre une rémunération. Cela s’apparente à des heures supplémentaires, seulement la plupart des enseignants ne peuvent pas se le permettre et beaucoup ne sont donc plus formés du tout. Ainsi, il y a des régions qui ont renoncé à proposer des formations aux enseignants pour LAAC. En Île-de-France, celles-ci ont été maintenues à bout de bras, grâce à un soutien du rectorat qui est convaincu du bienfait de ces temps de formation. Mais pour combien de temps
encore ? À l’heure où je vous parle, on ne sait pas si nous pourrons maintenir ces formations.
Conséquence : on baisse la qualité de l’accompagnement et le niveau d’exigence… Je ne suis pas pour un système élitiste, mais je pense qu’il faut pouvoir aller chercher les élèves avec des films challengeants.
Quelles solutions envisagez-vous pour pallier ces problèmes ?
Le président par intérim du CNC (ndlr. Olivier Henrard) a annoncé l’idée d’un catalogue de quelque 200 films disponibles pour chaque dispositif où les enseignants pourraient piocher ceux qu’ils veulent montrer. Cela ressemble, comme pour le pass Culture, à une individualisation de l’éducation artistique et culturelle et je pense que cela ne peut qu’affecter la qualité de la transmission et uniformiser le type des films enseignés aux jeunes. On a une exception culturelle incroyable en France, avec des dispositifs que tout le monde nous envie, et on est en train de détruire ça. On en a le parfait exemple avec le département du Nord qui a complètement arrêté de financer “Collège au cinéma”, ou le Pays de la Loire qui va couper 100 millions d’euros dans le budget de la culture pour 2025.
L’entente entre les institutions et les associations culturelles – notamment de cinéma – ne passe plus. La culture se retrouve coupée de partout, reléguée à l’arrière-plan des préoccupations. Il y a une méconnaissance totale de la culture de la part des sphères dirigeantes. Pour eux, c’est “un objet de bobos parisiens” qui ne nécessite pas de financement. Le secteur culturel peine à se faire entendre.
La Fédération nationale des Cinémas Français (FNCF), interlocuteur privilégié du CNC et des pouvoirs publics, à travers son président Richard Patry, n’est pas très passionné par ces enjeux. Nous sommes minoritaires et nos voix pèsent peu car la majorité des exploitants sont avant tout des vendeurs de popcorn. On est dans une sorte de passivité générale où personne ne lève la voix.

Alan Chikhe présentant une séance de la Nuit Halloween au Méliès à Montreuil © Alan Chikhe
Vous suivez donc la temporalité de l’année scolaire, quels sont les temps forts de votre année jeune public ?
L’année jeune public se concentre surtout sur la première partie de l’année, qui correspond à la préparation et la programmation de tous les cycles.
Je commence en juin, avec le début des programmations pour les dispositifs, et le festival d’Annecy où je me fais une idée du millésime de l’année à venir en animation. En juillet, c’est la formation “Lycéens au cinéma” avec les salles de cinéma, que l’on organise à Montreuil entre tous les médiateurs d’Île-de-France. C’est l’occasion de voir les collègues qu’on ne voit pas souvent dans l’année, et de partager nos expériences. Fin août, je fais le planning de travail de l’année pour les rendus de textes, de programmes et d’animations hors temps scolaire. Et je programme aussi les grosses sorties jeune public de l’année – les Disney notamment comme Vaiana cette année – pour éviter de mettre des films plus fragiles en concurrence.
En septembre, les classes s’inscrivent pour les dispositifs scolaires. Je fais également la programmation jeune public du “festival de Montreuil” – qui a lieu le dernier week-end de septembre.
À partir de novembre, les dispositifs scolaires commencent, ce qui me prend beaucoup de temps puisque j’accueille et présente les séances quotidiennement, et met en place les discussions qui suivent la projection. En parallèle, je me rends dans des festivals et notamment Ciné-junior en début d’année qui est, selon moi, le meilleur festival jeune public. Il réunit les gens qui sont mus par l’éducation aux images.
À partir de mars, cela se calme en termes de charge de travail, les dispositifs sont lancés et il y a beaucoup moins de films qui sortent, notamment à l’approche de Cannes. Mon année est également rythmée par la fabrication des trois programmes scolaires qui paraissent chaque trimestre. Ces programmes sont envoyés à toutes les écoles (maternelle et primaire) avec lesquelles nous travaillons. C’est dans ces propositions que les profs puisent et choisissent de ramener leurs élèves. Toute l’année, je regarde en moyenne 2 à 3 films par semaine, pour mon travail. Cela implique un travail de veille constant sur les sorties à venir, de relationnel avec les distributeurs. Ceci, afin d’anticiper les films et les programmer, ou pas.
Vous avez donc une année coupée en deux finalement ?
Un peu, mais c’est surtout dû au fait que mon rythme se cale sur celui de l’année du cinéma jeune public, qui est concentré entre octobre et février. Les sorties de films jeune public se disputent les entrées sur cette période car les distributeurs veulent tous avoir les meilleurs créneaux : la rentrée, les vacances, Noël. Le froid incite aussi beaucoup plus à la sortie cinéma car l’été les enfants jouent dans les parcs. C’est parfois difficile en tant que programmateur, j’ai des semaines où trois films jeune public sortent en même temps. À partir de mars donc, c’est la disette, et à cette période j’aime bien retourner aux classiques comme L’Histoire sans fin (1984, Wolfgang Petersen), qui sont aussi susceptibles de parler aux parents de ma génération ou un peu plus âgés.
À côté du jeune public, vous avez évoqué votre attirance pour le cinéma de genre. Vous faites aussi d’autres types de programmation ?
J’ai plusieurs rendez-vous dans l’année hors jeune public. D’abord, je programme un cycle de cinéma de genre au Méliès, “Aux frontières du Méliès”, qui correspond à ma cinéphilie et qui se déploie sur deux semestres avec que des séances présentées. Je programme aussi “Japanim”, un cycle de films d’animation japonais, et la majorité de la “Nuit Halloween” car elles mettent avant tout en avant les genres horreur et fantastique et c’est là où je me sens bien en termes de cinéma. Petite parenthèse, cette année, pour le cycle animaux tueurs, je devais me déguiser en requin mais les déguisements étaient en rupture donc j’ai opté pour l’ours.
Pour m’inspirer sur le cinéma de genre et fantastique, je fréquente des festivals comme le PIFFF au Max Linder (75010) en décembre, Gérardmer et l’Etrange Festival. Nous avons aussi un partenariat avec la plate-forme française de sVOD Shadowz qui nous fournit des pépites dont ils ont les droits exclusifs.

Alan Chikhe (en ours) pendant la Nuit Halloween au Méliès à Montreuil © Cinéma Méliès Montreuil
Comment décririez-vous une journée type comme médiateur au Méliès ?
Généralement, j’arrive un peu avant 9h et je me fais un thé. Ensuite, la matinée est consacrée à l’accueil des groupes scolaires sur les six salles, ce qui peut être un peu intense. Je les accompagne et j’interviens également à la fin des films. Après la pause déjeuner, les séances scolaires reprennent à 14h et finissent en général vers 16h30. Ma fin de journée se situe entre 17h30 et 18h.. Ça c’est la journée type, mais en réalité je fais entre 7h et 10h de plus par semaine si on inclut tous les films que je regarde parfois sur mon temps personnel, et surtout les animations que nous proposons hors temps scolaire, les week-ends principalement. Maintenant, je ne les regarde plus chez moi, je demande les DCP et je regarde les films en salle, avant les premières séances. Ça ne réduit pas mon temps de travail mais c’est beaucoup plus agréable. Ce genre d’avantage, c’est aussi pour ça que je fais ce métier, j’aime le cinéma. Pendant le confinement, on avait les salles du cinéma à disposition et on a pu “tester” les projecteurs avec nos consoles de jeux, avec les Blu-ray qu’on avait acheté … c’était pas mal du tout. Et puis je continuais à aller dans les écoles pour les ateliers, c’était génial j’avais plein de copains !
Comment envisagez-vous votre métier dans le futur ?
C’est un métier assez précaire et souvent vu comme un privilège : peu de cinémas ont un médiateur dédié comme moi au Méliès et, souvent, il est considéré comme la cinquième roue du carrosse, pas essentiel comme le projectionniste ou le programmateur. Cela a plusieurs conséquences comme des fiches de poste non uniformisées, et la définition d’un métier passion où il est admis que tu regardes les films chez toi, sur ton temps personnel. Je pense que c’est un poste essentiel, à la confluence d’enjeux très différents et de beaucoup de publics. On ne s’en rend pas compte mais on subit aussi beaucoup car c’est un métier qui convoque beaucoup l’humain. L’avenir, mais je crois que vous l’aurez compris, n’augure pas des choses très positives, les médiateurs étant le maillon le plus fragile de la salle.
Entretien réalisé le 4 décembre
